lundi 2 février 2015

Aniconisme et iconoclasme dans l'Islam



Les attentats contre Charlie Hebdo ont provoqué une vague émotionnelle sans précédent d'autant plus que la France n'avait pas connu d'attentats depuis plusieurs années. La publication de caricatures du prophète Mohammad (Mahomet terme plus couramment utilisé et controversé pour désigner le prophète) a été le déclencheur d'une crise sociale et d'un questionnement autour de l'islam et de la figure du prophète. Certains musulmans y voient une atteinte personnelle à ce qu'ils sont et à leur culture et d'autres y voient un blasphème ou une atteinte générale à la religion musulmane.
Deux questions découlent alors de ces "malentendus" et discordes qui divisent non seulement la société française mais surtout le monde musulman. Pour la plupart des musulmans et surtout pour les sunnites, il est admis que la représentation figurative en général est prohibée et contraire à l'Islam. Cette affirmation résulte de la pratique de l'islam et du chiisme.
La problématique est donc de définir où se situe la frontière entre l'aniconisme et l'iconoclasme dans l'islam afin d'éviter toute confusion en déterminant comment l'image est utilisée dans le monde musulman.


L'Aniconisme et l'iconoclasme sont des termes aux finalités différant selon le domaine d'utilisation de l'image.
L'aniconisme est l'absence de toute représentation figurative. Dans l'islam elle concerne Dieu et le prophète. Le phénomène est en général codifié par la tradition religieuse et devient en tant que tel une prohibition formelle bien ancrée dans les traditions, et que l'on retrouve chez les musulmans sunnites. L’iconoclasme est la destruction délibérée de représentations religieuses de type figuratif, pour des motifs religieux ou politiques. Ce courant de pensée rejette la vénération adressée aux représentations du divin, et particulièrement dans les icônes.

L'Aniconisme est une restriction partielle de représentation matérielle.
L'usage ḳurʾānique du verbe ṣawwara (donner forme) est un terme qui suggère que sa signification première est de donner forme ou représenter une personne ou une chose (XL, 64; LXIV, 3; VII, 11; III, 6). Les restrictions bien connues contre l’idolâtrie en Islam empêchèrent le développement de la sculpture de sorte que le terme muṣawwir qui est appliqué à Dieu dans le Ḳurʾān, désignant celui qui façonne, est habituellement utilisé comme équivalent de «peintre, dessinateur» quand il s’agit d’une personne.
L'image dans la pratique religieuse est variante. Dans la sphère religieuse, une attitude d'hostilité manifeste envers la représentation figurative demeure face aux interdits, et traditions ou autres valeurs « intouchables ». C'est le cas chez les musulmans sunnites où la représentation de Dieu du prophète et des saints est strictement interdite. La pratique commune chez les sunnites ne conçoit pas le fait que le prophète soit représenté et encore moins caricaturé. Nombreuses ont été les réactions violentes face aux dessins représentant le prophète Mohammad et une certaine indignation émanant de musulmans "modérés", bien qu'ils admettent et comprennent le principe de liberté d'expression en France. Il est donc nécessaire d'analyser quelles sont les raisons de cette indignation. En effet, la pratique sunnite rejette la représentation du prophète et des saints contrairement aux chiites. Ce rejet est donc justifié par une pratique et une tradition.

L'iconoclasme est une restriction totale de représentation matérielle.
En effet, une suppression systématique de l'image est appliquée. Lorsqu'il est activement imposé et aboutit à la suppression de représentations, l'aniconisme devient iconoclasme. Dans l'islam sunnite, l'interdiction de représentation est très prégnante afin d'éviter toute forme d'idolâtrie : le culte est voué exclusivement à un Dieu sans forme ni représentation, en dehors du temps et de l'espace, infini et donc insaisissable par l'entendement humain.
L'orthodoxie musulmane considère que toute représentation d'être possédant une âme est illicite et doit être détruite.
Une absence de représentation figurative est remplacée  par une représentation codifiée. L'absence de représentation figurée orienta sensiblement l'art, la culture, l'architecture arabo-musulmane. Ce qui peut expliquer le goût pour la calligraphie, un style architectural plus épuré qu'en Occident, une plus grande sensibilité artistique pour l'harmonie des formes géométriques. Concernant le sunnisme, on connaît des épisodes iconoclastes dans le passé, dirigés par exemple contre les images chrétiennes sous les umeyyades.



Aniconisme et iconoclasme sont deux interdits basés sur des sources différentes.
Une intégration profonde de l'image figurative dans les pratiques religieuses musulmanes chiites est largement répandue. En effet, les portraits d'Ali et de Husayn sont omniprésents dans la vie quotidienne, que ce soit sous forme de peinture, de pendentif etc.
La création d'image représentant le prophète Mohammed a été d'ailleurs autorisée par une fatwa du grand ayatollah Sistani un temps soi peu si celles-ci demeurent respectueuse.
De plus, contrairement aux tombes sunnites, les sépultures chiites peuvent afficher l'image du défunt.

L'usage de l'image varie selon la sphère privée ou la sphère publique.
C'est une dichotomie aux frontières mouvantes. Cette dichotomie entre les sphères du public et du privé, pour ce qui est de l’utilisation de représentations figuratives, s’était déjà développée à l’époque umayyade. La décoration de mosquées avec des représentations d’arbres, de vignes et de fruits tant à Damas qu’à Médine, fut contrebalancée par l’utilisation de sculptures, de peintures et de mosaïques dans les riches résidences privées. Cet art figuratif utilisé dans les palais au début de l’Islam doit beaucoup à l’expression gréco-romaine qui était largement répandue, certains éléments étant tirés du répertoire de l’art sāsānide.
Le statut religieux de l'image demeure incertain si l'on compare le message divin et les hadiths. Il n’existe pas d’interdiction ḳurʾānique concernant la peinture ou les autres arts figuratifs, mais il semble que des réserves sur leur légalité aient été émises dans la littérature théologique à partir de la fin de l’époque umayyade ou du début de l’époque abbāside. Des ḥadīt̲h̲ largement répandus font état de la répugnance qu’ont les anges à entrer dans une maison qui contient une peinture et prédisent au muṣawwir (le dessinateur) une sévère punition lors du Jour du Jugement où il devra répondre de son incapacité à donner vie aux créatures qu’il aura représentées. Il existe cependant des ḥadīt̲h̲ opposés qui restreignent la portée de ces interdictions, tels que celui qui décrit la façon dont le Prophète ordonna la destruction de toutes les images situées dans la Kaʿba à l’exception d’une représentant la Vierge et l’Enfant. Certaines objections religieuses semblent provenir de l’aversion pour l’idolâtrie, mais d’autres traduisent la crainte que les images ne possèdent des pouvoirs quasi magiques.

La pratique de l'art figuratif va différer selon les régions.
L'acceptation de l'image en dehors des textes religieux et du message divin s'est fait à travers d'autres écrits. La Perse fut la région où la peinture trouva l’accueil le plus favorable, en particulier durant la période post-mongole lorsque le patronage des peintres devint une caractéristique habituelle de la vie de cour. Le texte arabe illustré le plus important fut le Maḳāmāt d’al-Ḥarīrī, ses illustrateurs ayant fait appel à leurs dispositions et expériences personnelles pour créer des images révélant de nombreuses facettes de la vie en ʿIrāḳ. Le courant visant à illustrer les textes littéraires arabes atteignit aussi le Mag̲h̲rib. Le roman de Bayāḍ et Riyāḍ est connu grâce à une version illustrée d’Afrique du Nord ou d’Espagne du VIe/XIIe siècle ou VIIe/XIIIe siècle.
Le développement d'une tendance aniconique va influer l'évolution de la figuration. L’approche des peintres dans les cours musulmanes selon les lieux, évolua du fait de l’importance de l’importation de peintures en provenance d’Europe, voire la présence de peintres européens dans les cours royales. L’introduction de la photographie au milieu du XIXe siècle apporta un nouveau critère de vraisemblance qui mina l’approche idéalisée utilisée par les peintres musulmans mettant fin de fait à une tradition singulière.

Houda HADDANI
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