Les
attentats contre Charlie Hebdo ont provoqué une vague émotionnelle sans
précédent d'autant plus que la France n'avait pas connu d'attentats
depuis plusieurs années. La publication de caricatures du prophète
Mohammad (Mahomet terme plus couramment utilisé et controversé pour
désigner le prophète) a été le déclencheur d'une crise sociale et d'un
questionnement autour de l'islam et de la figure du prophète. Certains
musulmans y voient une atteinte personnelle à ce qu'ils sont et à leur
culture et d'autres y voient un blasphème ou une atteinte générale à la
religion musulmane.
Deux questions découlent
alors de ces "malentendus" et discordes qui divisent non seulement la
société française mais surtout le monde musulman. Pour la plupart des
musulmans et surtout pour les sunnites, il est admis que la
représentation figurative en général est prohibée et contraire à
l'Islam. Cette affirmation résulte de la pratique de l'islam et du
chiisme.
La problématique est donc
de définir où se situe la frontière entre l'aniconisme et l'iconoclasme
dans l'islam afin d'éviter toute confusion en déterminant comment
l'image est utilisée dans le monde musulman.
L'Aniconisme et l'iconoclasme sont des termes aux finalités différant selon le domaine d'utilisation de l'image.
L'aniconisme est
l'absence de toute représentation figurative. Dans l'islam elle concerne Dieu et le prophète. Le phénomène est en général codifié par
la tradition religieuse et devient en tant que tel une prohibition
formelle bien ancrée dans les traditions, et que l'on retrouve chez les
musulmans sunnites. L’iconoclasme est la destruction délibérée de
représentations religieuses de type figuratif, pour des motifs religieux
ou politiques. Ce courant de pensée rejette la vénération adressée aux
représentations du divin, et particulièrement dans les icônes.
L'Aniconisme est une restriction partielle de représentation matérielle.
L'usage ḳurʾānique du verbe ṣawwara (donner forme)
est un terme qui suggère que sa signification première est de donner
forme ou représenter une personne ou une chose (XL, 64; LXIV, 3; VII,
11; III, 6). Les restrictions bien connues contre l’idolâtrie en Islam
empêchèrent le développement de la sculpture de sorte que le terme
muṣawwir qui est appliqué à Dieu dans le Ḳurʾān, désignant celui qui
façonne, est habituellement utilisé comme équivalent de «peintre,
dessinateur» quand il s’agit d’une personne.
L'image dans la pratique religieuse est variante.
Dans la sphère religieuse, une attitude d'hostilité manifeste envers la
représentation figurative demeure face aux interdits, et traditions ou
autres valeurs « intouchables ». C'est le cas chez les musulmans
sunnites où la représentation de Dieu du prophète et des saints est
strictement interdite. La pratique commune chez les sunnites ne conçoit
pas le fait que le prophète soit représenté et encore moins caricaturé.
Nombreuses ont été les réactions violentes face aux dessins représentant
le prophète Mohammad et une certaine indignation émanant de musulmans
"modérés", bien qu'ils admettent et comprennent le principe de liberté
d'expression en France. Il est donc nécessaire d'analyser quelles sont
les raisons de cette indignation. En effet, la pratique sunnite rejette
la représentation du prophète et des saints contrairement aux chiites.
Ce rejet est donc justifié par une pratique et une tradition.
L'iconoclasme est une restriction totale de représentation matérielle.
En effet, une suppression systématique de l'image est appliquée.
Lorsqu'il est activement imposé et aboutit à la suppression de
représentations, l'aniconisme devient iconoclasme. Dans l'islam sunnite,
l'interdiction de représentation est très prégnante afin d'éviter toute
forme d'idolâtrie : le culte est voué exclusivement à un Dieu sans
forme ni représentation, en dehors du temps et de l'espace, infini et
donc insaisissable par l'entendement humain.
L'orthodoxie musulmane considère que toute représentation d'être possédant une âme est illicite et doit être détruite.
Une absence de représentation figurative est remplacée par une représentation codifiée.
L'absence de représentation figurée orienta sensiblement l'art, la
culture, l'architecture arabo-musulmane. Ce qui peut expliquer le goût
pour la calligraphie, un style architectural plus épuré qu'en Occident,
une plus grande sensibilité artistique pour l'harmonie des formes
géométriques. Concernant le sunnisme, on connaît des épisodes
iconoclastes dans le passé, dirigés par exemple contre les images
chrétiennes sous les umeyyades.
Aniconisme et iconoclasme sont deux interdits basés sur des sources différentes.
Une intégration profonde
de l'image figurative dans les pratiques religieuses musulmanes chiites
est largement répandue. En effet, les portraits d'Ali et de Husayn sont
omniprésents dans la vie quotidienne, que ce soit sous forme de
peinture, de pendentif etc.
La création d'image
représentant le prophète Mohammed a été d'ailleurs autorisée par une
fatwa du grand ayatollah Sistani un temps soi peu si celles-ci demeurent
respectueuse.
De plus, contrairement aux tombes sunnites, les sépultures chiites peuvent afficher l'image du défunt.
L'usage de l'image varie selon la sphère privée ou la sphère publique.
C'est une dichotomie aux frontières mouvantes.
Cette dichotomie entre les sphères du public et du privé, pour ce qui
est de l’utilisation de représentations figuratives, s’était déjà
développée à l’époque umayyade. La décoration de mosquées avec des
représentations d’arbres, de vignes et de fruits tant à Damas qu’à
Médine, fut contrebalancée par l’utilisation de sculptures, de peintures
et de mosaïques dans les riches résidences privées. Cet art figuratif
utilisé dans les palais au début de l’Islam doit beaucoup à l’expression
gréco-romaine qui était largement répandue, certains éléments étant
tirés du répertoire de l’art sāsānide.
Le statut religieux de l'image demeure incertain
si l'on compare le message divin et les hadiths. Il n’existe pas
d’interdiction ḳurʾānique concernant la peinture ou les autres arts
figuratifs, mais il semble que des réserves sur leur légalité aient été
émises dans la littérature théologique à partir de la fin de l’époque
umayyade ou du début de l’époque abbāside. Des ḥadīt̲h̲ largement
répandus font état de la répugnance qu’ont les anges à entrer dans une
maison qui contient une peinture et prédisent au muṣawwir (le
dessinateur) une sévère punition lors du Jour du Jugement où il devra
répondre de son incapacité à donner vie aux créatures qu’il aura
représentées. Il existe cependant des ḥadīt̲h̲ opposés qui restreignent
la portée de ces interdictions, tels que celui qui décrit la façon dont
le Prophète ordonna la destruction de toutes les images situées dans la
Kaʿba à l’exception d’une représentant la Vierge et l’Enfant. Certaines
objections religieuses semblent provenir de l’aversion pour l’idolâtrie,
mais d’autres traduisent la crainte que les images ne possèdent des
pouvoirs quasi magiques.
La pratique de l'art figuratif va différer selon les régions.
L'acceptation de l'image en dehors des textes religieux et du message divin s'est fait à travers d'autres écrits.
La Perse fut la région où la peinture trouva l’accueil le plus
favorable, en particulier durant la période post-mongole lorsque le
patronage des peintres devint une caractéristique habituelle de la vie
de cour. Le texte arabe illustré le plus important fut le Maḳāmāt
d’al-Ḥarīrī, ses illustrateurs ayant fait appel à leurs dispositions et
expériences personnelles pour créer des images révélant de nombreuses
facettes de la vie en ʿIrāḳ. Le courant visant à illustrer les textes
littéraires arabes atteignit aussi le Mag̲h̲rib. Le roman de Bayāḍ et
Riyāḍ est connu grâce à une version illustrée d’Afrique du Nord ou
d’Espagne du VIe/XIIe siècle ou VIIe/XIIIe siècle.
Le développement d'une tendance aniconique va influer l'évolution de la figuration. L’approche
des peintres dans les cours musulmanes selon les lieux, évolua du fait
de l’importance de l’importation de peintures en provenance d’Europe,
voire la présence de peintres européens dans les cours royales.
L’introduction de la photographie au milieu du XIXe siècle apporta un
nouveau critère de vraisemblance qui mina l’approche idéalisée utilisée
par les peintres musulmans mettant fin de fait à une tradition
singulière.
Houda HADDANI